Ce texte assez long, écrit Ghislain Claude Essabé, ancien SG de la Fégajudo, ceinture noire 1er dan, instructeur au Judo Club Aladdin, est d’une richesse incommensurable. Me Mandjombé mort que restera-t-il du judo ?
Le Ô Sensei Georges MANDJOMBE est mort. Il a définitivement plié et rangé son judogi « blanc », à l’aurore de ce triste lundi 04 novembre 2024. Puisse Dieu, les mannes de ses ancêtres et du judo l’accueillir.
Après cette période de deuil, un mois jour pour jour, je m’autorise cet hommage post-mortem du disciple. Un exécutoire et donc volontairement subjectif, sur le chemin de la préservation de la pensée du Grand Maître. Justement, je voudrais lui demander de transmette ma reconnaissance infinie au Maître Paul MIHINDOU « Mipau », pour les intimes, mon Maître, parti, hélas, trop tôt !
Le Maître Georges MANDJOMBE n’était pas le premier judoka gabonais, encore moins le plus ancien parmi les pratiquants actifs. Mais, au moment de son départ, après celui d’un autre baobab, le Grand Maître Célestin MAKAYA, d’illustre mémoire, il y a trois ans, le Maître MANDJOMBE était devenu le plus ancien au grade le plus élevé, c’est-à-dire Shichi dan (7e dan), dans la tradition japonaise.
Éternel vice-président de la Fédération gabonaise de Judo, il était tellement omniprésent que dans un imaginaire collectif, certains pensait qu’il était le primus inter pares ! D’où la dualité paradoxale qu’il a fini par incarner, au point d’être souvent controversé.
Un Homme qui faisait corps avec le Judo
Cet homme faisait corps avec son art, sa passion. On n’oubliait souvent que Monsieur Georges MANDJOMBE était un haut cadre, un banquier, qui a régulièrement occupé de grandes responsabilités au cours desa longue carrière professionnelle, tellement le Judo l’avait accaparé, au prix de plusieurs sacrifices dans sa vie privée. Ainsi, comme au dojo, à la maison, au boulot, ou entre amis, on l’appelait : « Maître MANDJOMBE ». Il n’était pas rare qu’aux examens de grades et à la question « Qui est le fondateur du Judo » ou « Qui est le président de la Fédération ? », d’entendre les jeunes apprenants répondre : « Maitre MANDJOMBE ». Oups !
Pour cause, grâce à sa maîtrise de l’art, à son sens de la communication et du contact, il était de ces rares qui se confondaient au Judo, au point de prénommer une de ses filles « Takahashi », en reconnaissance au Grand Maître japonais Fujio TAKAHASHI, mis à la disposition du Gabon par la coopération japonaise en qualité d’entraineur national, entre 1979 et 1981. Nul n’a donc été surpris de le voir vêtu de son judogi blanc, lors de son mariage, l’an dernier. Un judogi qui l’a également accompagné dans sa dernière demeure. Un ancien, parlant de sa passion, me disait il y a quelques jours : « Si certains prient Dieu, MANDJOMBE priait certainement le Judo ! ».
Un puriste japonais
En réalité, Maître MANDJOMBE était un puriste. Il se réclamait de l’École japonaise. En dépit du développement fulgurant de cette discipline sportive et des règles, sans cesse évolutives, édictées par la Fédération Internationale de Judo (FIJ), sous l’influence européenne, pour lui, le Judo est avant tout un art martial traditionnel japonais et le kimono, c’est le judogi blanc, toujours blanc ! J’ai encore en mémoire son interminable débat sur le caractère markéting du judogi bleu…C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’en ai jamais acheté.
En outre, chez le Maître MANDJOMBE, le Maître – et non le coach – devait avoir son dojo et être un modèle de discipline, de rigueur dans sa pratique et au quotidien. De cette conception, j’ai été convaincu de l’idée selon laquelle il n’y a pas de « candidat libre au Judo ». Un Judoka est un pratiquant, licencié dans un club régulièrement affilié.
Un faiseur de roi
Pour l’intérêt supérieur du Judo, le Maître MANDJOMBE était devenu, à la force des choses, un faiseur de roi. L’homme avait un relationnel, comme tout banquier qui se respecte. Il avait un portefeuille client et un réseau d’amis qui faisait croire qu’il connaissait tout le monde. Avéré ou pas, à votre nom, il était capable d’en tirer un lien de famille ou d’amitié. Je l’entends encore me rappeler combien de fois il était souvent ravi d’effectuer un voyage avec l’inspecteur Sylvestre ESSABE EKOMO, comme chef de mission, pour une compétition, dans tel ou tel autre pays. Le but était de me rappeler que lui aussi était mon père.
D’ailleurs, il est admis que c’est lui qui était « allé chercher » les Maîtres et présidents PAMBO LOYA, puis André ANGWE ABOUGHE, son « mougoye » et binôme qui, durant ses mandats successifs a permis d’écrire les lettres les plus dorées de l’histoire du Judo gabonais à ce jour. De ce fait, plusieurs cadres, moi y compris, ont été encouragés, sollicités ou cooptés pour assumer des responsabilités à la Fédération gabonaise de Judo, afin qu’ils apportent, chacun selon sa compétence et ses moyens, une contribution au rayonnement du Judo dans notre pays et pour hisser haut le drapeau gabonais hors de nos frontières. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, on peut le lui reconnaitre !
Mais, cette influence et cette omniprésence, qui cachaient mal un certain narcissisme, a fini par faire de Me MANDJOMBE un homme controversé.
Un rassembleur égocentrique
Maître MANDJOMBE était « LE » Maître. Il aimait qu’on le consulte. Il aimait les réunions pour enseigner, non, pour dispenser sa science, car il savait tout. Il avait tout appris et compris du Judo, au point où il donnait même l’impression de comprendre et de parler japonais, lui, qui a longtemps été l’interlocuteur exclusif de la coopération japonaise. La Coupe de la coopération Nippo-gabonaise, la très célèbre Coupe de l’Ambassadeur du Japon, était son heure de gloire, au regard de son investissement.
De plus, quand vous entrez dans « son » dojo, celui du Judo Club Jigoro KANO – du nom du fondateur du Judo – dont il était en réalité un co-fondateur, il n’y avait que lui. Ses photos, dans tous les formats, pavoisent les quatre murs. Quelques jeunes maîtres courageux, avec le temps et en signe d’agacement, avaient « quand-même » réussi à en accrocher les leurs.
En outre, sa rigueur parfois excessive ( ?) et sa passion dévorante, comme entraineur ou arbitre donnait l’impression qu’en réalité, il voulait toujours se mettre en avant. Il était incompréhensible d’aller en stage ou de rédiger un mémoire sur le judo, sans « venir me voir », disait-il. Il corrigeait tout le monde, à tout moment, sur le tapis, en plein arbitrage, bref il était LE Maître. Malheureusement, cette mauvaise étreinte a souvent produit l’effet inverse. Sauf que, ce MANDJOMBE-là, il y en a de plus en plus dans notre Judo.
Un Maitre aux multiples disciples, sans successeur ?
L’organisation récente des obsèques du Maître MANDJOMBE, aux yeux des observateurs avertis, a révélé ce malaise. L’homme qui a formé plusieurs générations de judokas, l’homme pourtant respecté, c’est peu de le dire, est parti sans laisser un successeur. Un Grand Maître présent au regard aiguisé l’a pressenti. Le Grand Maître Raymond NDONG SIMA, 8e dan de Karaté – ci-devant Premier ministre gabonais – a déclaré, lors de son hommage au gymnase du Centre sportif d’Oloumi, le 29 novembre dernier: « Mais, au bout du compte, je répète, les efforts que MANDJOMBE a faits, les renoncements auxquels il a dû consentir et la vie qu’il s’est donnée, tout ça aura un sens si les enfants qu’il a eu à former, si les gens qui vont assurer sa succession, le font dans le sens et dans l’esprit de ce que lui-même il a fait. Si j’étais venu mieux [préparé], j’aurais plié un kimono, pour le remettre à la Fédération gabonaise de Judo. Mais, je sais que vous le ferez vous-mêmes, que vous donnerez ce kimono à quelqu’un pour prendre la relève ; quelqu’un pour encadrer les autres ; quelqu’un pour garder la femme ».
Ces mots d’un Grand Maitre, sonnent à mes oreilles comme un shido, un avertissement, un appel à rectifier la posture. Mais surtout, une invite aux enfants du Maître, mais au-delà, à la Fédération – puisque c’est à elle qu’il s’est adressé – afin de prendre ses responsabilités.
Au Judo Club Jigoro KANO, tous les anciens, tous ceux qui pouvaient ou devaient prendre la relève sont partis. Il y a eu et heureusement, un sursaut d’orgueil au moment des obsèques, mais cela n’a pas suffisamment caché l’absence de successeur.
Oubli, ignorance ou ingratitude ?
Le Maître MANDJOMBE est retourné à la terre sans être élevé au rang de Hachi dan (8e dan), « en reconnaissance de l’ensemble de son œuvre ». Pourquoi ? La Commission des grades n’était-elle pas informée de son décès ? Ne connait-elle pas ou a-t- elle oublié les usages martiaux ? Le Maître MANDJOMBE ne le méritait-il pas ? Il en avait déjà trop et surtout par « nomination, sans effort » ? Aurait-il au préalable fallu qu’il passa un examen ? A-t-il tout simplement été ostracisé ou son départ n’a pas pu vaincre la rancœur de certains? Dans ce cas, pourquoi les autres et pas lui ? C’est juste un questionnement naïf d’un disciple affecté.
Mais, pour éviter un Hansoku-Maké, une disqualification, une dislocation, ce shido du Grand Maître NDONG SIMA n’est pas à prendre à la légère. En effet, si rien n’est fait, l’avenir du judo gabonais s’écrira en pointillé sur du sable. Si en famille la coutume et la loi savent régler les questions de succession, l’absence de successeur au club et au niveau fédéral, la persistance d’une absence de cadre normatif solide, le refus continuel de s’arrimer aux normes nationales et internationales, l’inquiétant retour des « candidats libres », des maîtres sans clubs , la perte des valeurs martiales, l’enracinement des « titres fonciers », le refus tout simplement de repenser le judo gabonais, sont des signes avant-coureurs d’un avenir sombre.
Qui désormais pour prendre la relève ? Qui pour désormais encadrer et rassembler tout le monde ? Qui désormais pour incarner le judo gabonais ?
En ce qui le concerne, le Grand Maître MANDJOMBE a terminé la mission que lui ont confié Dieu et Jigoro KANO. Sa passion a fait de lui l’un des premiers athlètes de notre équipe nationale. Sa passion a fait de lui l’un des Maîtres qui ont fabriqué des grands champions dans notre pays. Sa passion a fait de lui le premier arbitre de référence de notre pays, celui qui a ouvert la porte et inspiré d’autres. Sa passion a fait de lui un manager qui a contribué au développement et à l’essor du judo gabonais sur le plan national et international.
Avec ses défauts d’humain, lui au moins, a fait sa part et son nom restera à jamais.
Ousss Sensei. Arigatôgozaimasu